« Matthieu avance en silence jusqu’à la parcelle délimitée par des rubans fluorescents et reste immobile derrière cette barrière de protection, tétanisé par ce qu’il entrevoit. Le corps livide gît, recroquevillé, à une trentaine de mètres, insolite sous le miel du soleil dorant langoureusement la nature environnante. La dépouille semble avoir été installée sciemment à cet endroit, dans un écrin poisseux de lumière virginale, comme un détail surréaliste dans l’harmonie du paysage.
Matthieu suffoque. Il aperçoit le ventre boursouflé, strié de marques violacées, les bras, les jambes, le buste, le visage, couverts de traces noirâtres, la peau trouée de partout. Ses yeux écarquillés ne parviennent pas à se détacher des stigmates des tortures les plus effroyables dont il ait jamais eu à connaître. Il voudrait clore ses paupières et n’a voir jamais vu, reprendre sa vie d’avant comme avant, mais il ne peut s’empêcher de regarder, fasciné, envoûté par le dégoût qui lui tord les entrailles. »
Des femmes enceintes assassinées ; des meurtres ne laissant aucun indice ; un juge d’instruction plongé dans une enquête de plus en plus sordide ; une psychologue face au décès de sa mère et à l’expertise d’une femme infanticide ; un avocat au passé sulfureux à la croisée de ces trajectoires…
C’est en utilisant le droit pénal comme prisme des comportements et de l’esprit humain qu’Hélène Lodie construit sa fiction. Magistrat, elle enrichit ses intrigues d’une connaissance précise des institutions judiciaires et de son intérêt prononcé pour le travail des juridictions répressives. « Dans les entrailles du pénitent » est son deuxième roman.
« Il la dévisage un instant et la précipite sur le lit. Puis il se jette sur elle comme un fauve ivre de sa propre violence et arrache furieusement ses vêtements pour la tuer, pour la rompre, pour la prendre. Pour la prendre sans fin, pour la prendre jusqu’à ce qu’elle en crève, pour crever avec elle de plaisir et de hargne, et s’étendre dans son ventre déchiqueté. Pour se nourrir de sa chair, pour sucer son sang, pour se repaître de sa vie. Se dissoudre en elle pour l’absorber, se répandre en elle pour l’engloutir. Son désir l’aiguillonne comme un éperon et il se rue comme un étalon fou dans les hanches de Marie. La douleur est fulgurante et elle l’éprouve dans tout son corps. C’est Nicolas qui la déchire. Nicolas contre qui elle s’écharpe le cœur et elle s’empale l’âme. Nicolas qu’elle ne sait pas, qu’elle ne peut pas atteindre. La douleur est effrayante. Marie ferme les yeux pour atteindre Nicolas. »
« Nicolas inspire profondément l’haleine glacée de la nuit en levant la tête mais détourne rapidement les yeux du ciel souillé d’étoiles car le crépitement intime des astres dans ses tempes lui donne le vertige. Eprouvant de façon impérieuse le besoin de marcher pour évacuer dans la bise obscure les tensions et les émotions de la soirée, il décide d’errer au hasard dans la ville haute plutôt que de rentrer directement chez lui. Il parcourt longuement les ruelles pavées jusqu’au parvis de la cathédrale qu’il traverse pour aller s’asseoir sur le bord d’un rempart, dos au gouffre. Il sent qu’il suffirait au vent qui l’enlace d’une pichenette pour le précipiter dans l’oubli en le faisant basculer par l’arrière et il aime cette sensation. Résigné à la présence permanente de la mort dans sa vie, il s’exerce à l’apprivoiser lorsqu’elle se laisse approcher. Nicolas contemple la cathédrale comme un repère, comme un refuge, au crépuscule de son existence tourmentée. Erodé, usé comme elle par les années, les pierres séculaires lui semblent familière et leu majesté l’attendrit. Son passé d’errance a balayé ses origines, il n’est de nulle part à force d’avoir vécu partout, affranchi de ses racines. Mais Montargue est le seul endroit où il se soit installé. Montargue l’a pris, Montargue l’a brisé, Montargue l’a rappelé. Montargue s’est vrillée en lui et un lien indissoluble les unit. L’homme des vallons saturés de chaleur, l’homme aux mains de soleil rocailleux, l’homme poussière de lumière s’est assis à l’abri du monde en Montargue la glacée, peuplée des vents, des pleurs, des brumes du Nord. »