Entre la page 96 et la page 97 du livre
16 janvier 2021, message d’Alba à Simon
Merci pour ce joli signe enneigé !
D'abord un petit footing ce matin avec les premiers flocons, la terre brune des champs se poudrant de blanc, le chemin se couvrant étrangement d'argent scintillant... J'ai pensé aux poissons du Carnaval des Animaux, impression de courir sur des écailles mouvantes… et le grisant craquement des pas sur la neige cet après-midi. J’avais cette impression que tu m’accompagnais. Elle alterne avec celle que tu repousses la concrétisation d’un rendez-vous, que le réel et le virtuel de nos échanges se percutent en toi sans que tu ne parviennes à démêler cet écheveau, que tu fuis le cap de la confrontation à la réalité.
Si tu n’as pas envie qu’on voie, il faut me le dire. Si tu es en couple, ce serait bien que je le sache. Si tu as un gros furoncle sur le nez après avoir pris vingt-cinq kilos en forçant sur le chocolat, ça ne ma parait pas insurmontable. Si ça te fait flipper, moi aussi. Si tu as peur de manquer un épisode de « l’inspecteur Derrick », bonne nouvelle, nous sommes au siècle du replay. Si tu veux la médaille d’or de l’esquive, j’ai déjà pratiqué un champion hors norme toutes catégories confondues et en suis un peu usée. Si tu redoutes que je me sois transformée en loup-garou poilu, une vérification s’impose.
23 janvier 2021, message d’Alba à Simon
Tu me manques. Comment cela est-il possible ?
25 janvier 2021, message de Simon à Alba
Connexions émotionnelles non ?
25 janvier 2021, message d’Alba à Simon
Si, bien-sûr… mais des connexions émotionnelles sont-elles censées susciter le manque ?
Et est-ce que moi, je te manque ?
25 janvier 2021, message de Simon à Alba
…le ressenti d’une connexion d’émotions que l’on a plutôt l’impression de ressentir seul quelque fois au milieu d’autres qui ne captent pas, oui ça manque forcément !
25 janvier 2021, message d’Alba à Simon
Pas de « ça » pour moi, c’est bien le problème, docteur…
Cette connexion émotionnelle n’est pas une entité volante, elle est liée à toi, elle est avec toi et elle touche des émotions profondes, structurantes. Je crois, et j’ai un peu peur de l’écrire, qu’elle est devenue comme une partie de moi. Un révélateur ?
Je ne connaissais pas ça et je n’ai pas l’impression que la plupart des gens en font l’expérience. Mon travail est un haut lieu de connexions, mais pas comme ça. Je m’étais laissé un peu aller sur le vin au restau avant de t’envoyer mon SMS avant-hier, là je t’assure que je suis parfaitement sobre !!! Donc, ce que je ressens, c’est que c’est toi qui me manques, ce qui me déroute parce que je ne sais objectivement pas grand-chose de toi, que je ne sais pas flotter sur cette émotion, que je me sens seule à ressentir ce manque. Cette difficulté, c’est mon affaire, je sais, mais ça vacille quand même…
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L’histoire d’une fille qui se méprend ; à côté, structurellement.
J’ai senti la méprise à sa dérobade. Lente et douce. Il n’a d’abord plus été question de se voir mais juste de se croiser, et puis il n’a même plus été question de se croiser. Toute disponibilité pour ça, toute disponibilité pour moi, s’était évaporée. J’avais eu la prétention de croire que quelque chose entre nous s’était noué, je me sentais priée d’admettre qu’il n’en était rien.
Il fallait donc que je comprenne ce qu’il n’expliquait que par la saturation du temps, que j’en trouve la signification. Après dix-huit-mois, alors qu’il avait fait le tour de moi, je ne connaissais de lui que ce dont j’avais l’intuition, ce déséquilibre n’était plus tenable. Au-delà de la curiosité, j’ai cherché le fil de l’éclaircissement de mes interrogations en suspens. En cinq minutes Google a livré l’évidence. Bien-sûr.
Dans le désarroi et la tristesse éprouvés, j’ai compris que j’étais prise, bien que plus que je ne l’envisageais. Bien-sûr. Je croyais pourtant être restée sur mes gardes. Quelque chose de plus fort que la peur avait œuvré, et je n’avais plus qu’à le payer. La vie tient les comptes, addition de larmes acides ; salée.
Portant l’objectivité imparable de cette réalité me protège. Elle éclipse mon incapacité à susciter le même attrait chez lui. Rend inutile de trop fouiller mes insuffisances, d’avoir à ajouter une souffrance à une autre. Elle me protège de tout espoir.
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5 février 2021, message d’Alba à Simon
Les femmes apprennent que l'indisponibilité des hommes, quelle qu'en soit la cause ou la forme, est signifiante. Et le temps vient toujours de déchiffrer les messages cachés. Je n'étais pas trop pressée de savoir si docteur Simon était un peu ou beaucoup Mister Mirage. J'ai aimé cet espace infini qui suivait mon rythme, j'y étais bien, en sachant dans un coin de moi qu'il ne pouvait s'éterniser. Et puis besoin de trouver des réponses, trop compliqué de ne pas en recevoir face à ces émotions en moi, difficulté face au déséquilibre entre ton savoir de moi (avec une bonne marge d'oubli, j'espère) et mon ignorance de toi.
Dans ce monde quelques clics suffisent à ramener la réalité. Pour toi, celle d’une compagne.
Je me suis demandé pourquoi tu n'as jamais évoqué ta vie conjugale et me suis dit que cela t'appartient. Mais surtout, j'ai senti comme un obstacle à la poursuite des échanges auxquels j'étais attachée, et aussi une certaine tristesse.
Rien de cela ne devrait être si j'étais restée vraiment nette, même en s'affranchissant du cadremédical.
Je crois que toi aussi tu as trouvé quelque chose dans cette correspondance et ne me sens pas ridicule de m'être ainsi livrée. J'en ai été heureuse, la résonance m'a fait du bien.
J'ai eu cette chance. Je garderai cela.
Je souris plutôt en t'imaginant te demander comment tu allais te dépêtrer de tout ça... veinard, je le fais pour toi.
24 février 2021, message d’Alba à Simon
Voilà, je pensais que ça se tasserait, qu'il suffisait d'attendre. Mais je ne sais pas attendre. Il y a de l'abdication dans l'attente, et l'angoisse du néant à abdiquer
Je me disais que ma vie d'avant nos échanges reprendrait son cours puisque j'avais appris depuis longtemps à me passer d'interlocuteur et de résonance.
Et bien non, malgré tout ce que j'aime et qui me touche, je n'arrive plus très bien à faire sans. Ce qui est merveilleux dans cet écho avec toi, c'est qu'il résonne puissamment sans être un miroir. Sensation que c'est à ce partage-là que j'aspire fondamentalement alors qu'il est rarissime, et que je ne pourrai plus composer avec des ersatz. Peux-tu comprendre cela ?
Besoin de te le dire, et aussi de troubler ton silence. Envie que ça te manque aussi.
Retour en arrière vers la première consultation, je retrouve bien mes impressions, mes sensations, je crois comprendre mon cheminement. Envie de t'en parler.
Impression d'avoir à payer, à restituer à la vie les émotions que j'ai fini par oser accueillir. J'avais peur pourtant. Avec toi, j'ai cru intuitivement qu'il était possible de ne pas être à côté, mais je le suis sans doute structurellement, même si, d'après Goethe " on n'est peut-être pas définitivement ce que l'on est" !
27 février 2021, message de Simon à Alba
Bonjour Alba, je vois le temps qui tourne… juste te dire que je te réponds plus longuement plus tard…je voulais déjà répondre à ton précédent message, même si je n'étais pas certain que tu y attendais une réponse, voire qu'elle t'aurait peut-être encombrée… mais l'indisponibilité est en ce moment ma seconde nature même si je ne suis pas qu'un mirage…
Un peu de mal à surfer sur les émotions en vrac en ce moment… ça ne va pas top… un peu moment de gros tangage, une vraie vengeance potentielle pour nombre de mes patients… donc toujours un peu Mister Mirage sans doute, mais aussi, surtout, un peu terré dans son coin en bossant cependant comme un dingue… ce qui n’est pas, peut-être, le plus intelligent non plus pour remonter la pente… cordonniers les plus mal chaussés… vieille histoire connue.
Je consulte week-end compris et des contraintes personnelles viennent compliquer encore l'emploi du temps… saturation… état second un peu "militaire" dans une mobilisation qui ne lâche pas. Je n’ai même plus trop le temps d’aller marcher. Je prends quelques bouffées d'air tout de même et la musique m’accompagne… bouger le corps pour l'apaiser dans la routine du mouvement.
A bientôt.
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Entre la page 99 et la page 100 du livre…
2 mars 2021, message d’Alba à Simon
J’ai passé cette semaine à la montagne.
Dans l’incandescence des bleus, le blanc éblouissant, la sensation de liberté du corps glissant qui épouse la piste, et dans les fulgurances du soleil sous la brume grise aujourd’hui, toujours là, lancinante cette tristesse, profonde… en moi, comme un oiseau aux ailes coupées. Comme l’Albatros de Baudelaire, empêtrée dans ton silence, engluée dans cette part de moi qui trouvait, dans la relation à toi, ton essor. Je me débats.
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A la page 102 du livre…
7 avril 2021, message d’Alba à Simon
Danger pour moi à t’approcher, ça j’ai capté ! Cru que lorsque les émotions se rencontrent dans leur intimité alors que ce n’est ni voulu ni cherché, les effluves et les peaux peuvent se mêler, les corps se trouver avec la même simplicité. Dérapage incontrôlé. Mais pas désolée, parce que tout de même, quelle aberration de passer à côté de ce que la vie a offert malgré les sens interdits ! Comme si des rencontres qui agissent ainsi étaient légion dans une existence !
J’oscille depuis des semaines ; chasser les éclats de la beauté pour te fuir, me couper des émotions qui m’ont menée à toi, ou bien continuer à les saisir avec cette part de toi qu’elles portent ?
Consentir, ne plus se battre contre l’émergence des mots et leur cheminement vers toi. C’est peut-être ma façon de flotter ; moins dommageable que de lutter à contre-courant. Alors, imaginer autre chose… puisque dans les autres liens, ces mots, ces sensations-là sont à l’étroit, faire de toi l’espace qui me tiendrait ailleurs ?
Laisser la vie- elle qui a permis, elle qui a compris- inventer pour moi.